Encore un parmi les « uns »
Un de plus, pas un de moins
Mais toujours un de trop
Un de ces trop qui débordent des statistiques
et qui finissent par s'écouler dans les trous noirs
sans que personne ne les remarquent
Encore un
Un de plus sur la table des opérations
Glaciale
devant lui, un vieux singe matheux stupide et borné
qui le dissèque, qui le soustrait à grand coup de crayon
lui laissant sur sa peau froissée
les traces impudiques d'un résultat bidon
les traces d'un calcul froid
comme la preuve indiscutable
que c'était juste la bonne formule
La solution parfaite
Se dis-culpabiliser
aux yeux des rêveurs
Un + un + un
Qui font toujours un
et l'addition des « trop fragile », des « trop malade » des « trop vieux » et des « trop tard »
Pour soustraire tout les « possibles », les « efficaces » et les « utiles »
Pour soustraire un reste d'humanité
Comme des vieilles carcasses
qu'on brise, qu'on écrase, qu'on broient
qu'on jette dans un charnier de ferrailles
et qu'on laisse là
parce que devant les portes du néant
se bousculent déjà d'autres vieilles carcasses
qui attendent sans bruits
qu'on les brise, qu'on les écrase et qu'on les broient
Et tout en haut
les demi-dieux qui claquent leur puissance
au bras des opulences
qui claquent leur indifférence
sur un lit de papiers colorés
qu'ils prélèvent chaque mois
dans les vieux corps usés
les vieux corps abusés
les maintenir un peu en vie
pour encore plus de bouts de papier coloré
Et tout en haut
Leur rire de mépris
Qui résonne dans les longs couloirs sanglants
Brisant en écho
Les derniers cris d’espoir
Les derniers hurlements du désespoir
Et puis il y a les autres
Ceux qui ne comptent plus
Parce qu’ils n’en n’ont plus le temps.
Ce temps qui les déshumanise
ce temps qui les divisent souvent
sans vraiment les soustraire
aux regards implorants.
Ce temps qui les rend fous.
Fous de courir pour donner un peu de chaleur
la chaleur d’un corps, d’un geste ou d’un sourire
Fous de courir pour n’offrir finalement
que la chaleur d’un enfer
au milieu d’une puanteur algorithmique.
Depuis longtemps ils ne comptent plus
Parce que pour eux
un plus un feront toujours des centaines
feront toujours des milliers
et que pleurer ne suffit plus
à les garder vivants
dans les mémoires des suivants
Encore un parmi les uns
sur cette table trop froide
où dormait juste quelques heures avant
un autre un
déjà analysé sans aucune mesure
et toujours les mêmes gestes
qui n’additionnent que des comptes rendus
sans jamais se rendre compte
que,
finalement, ça ne sert à rien
un mauvais jeu de décompte
un triste compte à rebours
parce que tout le monde s’en fout
et que les vieux fous sont trop vite oubliés
dans leur mètre carré
qui n’ont plus de racines
à se rêver un sourire
à se rêver une dernière dignité
juste avant de s’endormir
sur la table trop froide.
¤Cat à Strophes 08/11/2023
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