Mon
enfant, mon amour, ma fille,
J’ai trouvé l’oiseau
mort sur le bord de sa cage, les yeux encore ouverts sur un monde endormi. A
son côté, la plume jolie, arrachée brutalement par l’entrave de ses chaînes. J’ai
posé l’oiseau mort sur un nuage de coton et je l’ai enterré, comme on enterre
son passé… Sans vraiment se retourner. Mais j’ai gardé la plume, que je trempe
aujourd’hui dans mon sang pour t’écrire ces mots. Quelques lignes de vie que tu
liras peut-être du fond de tes silences.
Dans l’obscur de mes
nuits, je me souviens de ton sourire et les abysses de ma mémoire respirent
encore le parfum de ta peau…
Le souvenir…
Arc-en-ciel fabuleux dont personne ne saurait en atteindre son trésor ni même
l’en dépouiller.
Je ne te demande pas de
me pardonner - l’acte d’abandon est impardonnable - mais ces mots, écrits
dans l’interdit de notre enfer, ne sont que des milliers de « je
t’aime » chuchotés au vent comme la caresse délicate des ailes du papillon
sur la fleur printanière.
Mon amour, ma fille, je
n’ai pas su nous protéger des folies dévastatrices qui germaient dans le
cerveau de ces hommes, avides d’un pouvoir qu’ils n’ont jamais su maîtriser. Je
n’ai pas su, parce que je n’ai pas cru l’homme capable de s’injecter autant de
haine et de mépris dans le fond de son crâne endoctriné par sa propre bêtise. Je
n’ai pas su, mais j’aurais dû savoir qu’il est dans la nature de l’Homme de
piétiner la Rose.
L’oiseau est mort… Et
avec lui notre liberté. J’ai laissé ma peur le crucifier sur la croix du
mensonge, le clou de l’égalité planté dans son aile droite et celui de la
fraternité dans celle gauche. Je l’ai regardé mourir, tout simplement, alors
que j’aurais dû crier ma révolte pour continuer de le lire libre dans un ciel azuré.
… Et maintenant, j’ai
froid.
J’ai laissé mon pays
assassiné le nom de « Femme ». Je l’ai laissé nous enterrer dans ces
vieux préjugés que l’on pensait d’un autre temps, et ce sont mes silences qui
ont creusé ma propre tombe, comme ils ont creusé la tienne et celles de
milliers d’autres femmes.
Ces femmes que j’ai
trahies.
Celles qui sont la
mémoire de l’histoire de notre pays. Celles qui se sont révoltées pour le droit
de vote, le droit à l’égalité, le droit de…
Celles qui ont combattu
aux côtés des hommes pour que la France reste la France et ne chute pas dans le
gouffre du nazisme.
Celles aussi, qui se
sont sacrifiées dans d’autres lieux pour le droit au respect, pour celui
d’exister en tant qu’être humain, pour celui d’être femme, tout simplement.
Pourtant, je n’en veux
pas à mon pays. Je reste coupable de mes silences. J’aurais dû savoir qu’accepter
certaines exigences au nom d’une hypocrite fraternité, n’était pas tendre une main solidaire à ces femmes mais plutôt
offrir aux hommes l’épée qui nous trancherait notre propre liberté. J’aurais dû
comprendre qu’en voulant les rendre plus libres, je nous enfermais avec elles,
dans leur monde de domination.
… Et glissent sur ma
peau, les larmes de mes « sœurs » torturées, lapidées, égorgées au
nom d’un barbare qu’ils appellent dieu. Les larmes de mes sœurs qui m’écorchent
l’âme comme les épines du roncier sur l’oiseau prisonnier.
Elle était pourtant
belle ma France avant qu’elle ne se cache derrière le voile de la soumission.
Elle était belle…
Mon enfant, je garde le
souvenir de ta peau si douce quand je t’ai serrée dans mes bras pour la
première fois le jour où tu es née. Le souvenir de tes beaux yeux marron qui
n’ont rien à envier aux regards bleutés. Souvenirs de tes genoux écorchés que
je guérissais d’un tendre baiser. Souvenir de tes rires, de tes sourires et de
tes larmes.
Souvenirs. Et toi ma
fille ? Quels seront tes souvenirs ?
Je t’ai lâchement
abandonné dans un monde de désolation où règnent la violence et la haine. Un
monde où l’on ne sait plus rêver.
Un monde sans oiseaux.
Je voudrais tellement
te savoir libre, mais la liberté a-t-elle réellement existé ou n’était-elle
qu’un leurre inventé par les hommes pour nourrir l’espoir ?
L’espoir.
Surtout ne le perds
pas, comme tu ne dois jamais effacer de ton visage, cet éclat sur tes lèvres si
belles. Je n’ai pas su te sauver des hommes mais je resterais là, près de toi, jusqu’à
mon dernier souffle, pour veiller tes sourires.
Ma fille, mon ange.
Ces mots, comme
l’empreinte de ma défaite face à la vie, face à TA vie.
Des mots d’amour aussi.
Parce qu’aucun dieu, aucun homme, aucune torture ni aucune loi ne saura
détruire l’amour que je te porte.
La plume est sur mon cœur
pour ne pas oublier.
Au fond de mon jardin,
j’ai planté un rosier que j’arrose de mes larmes. Juste en dessous… L’oiseau
est toujours endormi.
Je
t’aime.
Maman
¤ Cat ¤ 08/09/2016
Dieu quelle est belle et douloureuse cette lettre... puisse-t-elle arriver à destination :)
RépondreSupprimerMerci Laurent... Il me tenait à coeur d'écrire ces mots... Pour toutes les femmes, les mamans, les soeurs...
SupprimerEncore une fois tu fais tres fort mon amie.
RépondreSupprimerMerci belle âme...
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