Petit chat joueur de mots, je pelote mes poésies de caresses câlines et je griffe parfois pour défendre les maux. J'écris le "je", le "nous", le "vous" et je ronronne souvent sous l'effleure de ma plume. J'invente, je tente... Juste pour le plaisir.

Fines moustaches et libres pensées... Je guette la rime et vous partage mon petit coup de patte.

Je ne suis pas un écrivain... Je suis le chat "couseur de mots" et vous êtes... mes petites souris inspiratrices.

vendredi 27 mars 2015

Le dernier verre

Voici un texte, un parmi tant d'autres, de mon ami Jacques Lagrois, plus connus sous le pseudo de JAVA.
 Si le cœur vous en dit, vous pouvez le retrouver sur son blog :  itinéraires humains et citoyennetés
Il a reposé la bouteille à côté du verre, à côté aussi de la trace humide qu’elle avait laissée précédemment. Précédemment, ça c’était un mot de l’instituteur, un des… Juste le mot aurait pu le faire rire.
-Tu peux pas dire « avant » ?
Avant… Le laps de temps entre le « maintenant » et le « précédemment » était devenu ridiculement court, le temps nécessaire pour avaler le contenu de son verre, vite, trop vite… Avant, il aurait pris le temps. Avant il avait un interlocuteur, l’instituteur, parfois ils étaient deux en plus de lui. Ils refaisaient le monde, leur monde, ils gueulaient. Pas trop fort mais ils gueulaient…Enfin l’autre ou les autres. Lui il se contentait de parler du maïs à castrer, il avait réussi à ressemer cette année avec les graines qu’il avait gardé de la dernière récolte, de son toit qui laissait passer l’eau. Il écoutait l’autre, les autres. Bien sur il avait un avis ! Fallait pas s’en mêler, les choses finiraient par s’arranger toutes seules.
Il reposa son verre, vide. Il regarda la bouteille à demi vide, c’était sa dernière prune, il versa de nouveau le liquide transparent dans son verre, dont une bonne partie à côté, sur la toile cirée poisseuse et sale.  Il sentait maintenant l’effet de l’alcool l’envahir, ces troubles de coordination qu’il ne connaissait que trop bien maintenant, prenaient peu à peu possession de ses gestes, le divorce semblait consommé entre son cerveau et sa main droite. L’ivresse totale qu’il cherchait tardait à venir, le désordre de son esprit n’arrivait pas à rompre la chaîne des mots qui l’assaillaient.
Avant le vin le faisait chanter, rire, chercher la compagnie des autres, avant… Maintenant, il ne riait plus, l’eau-de-vie n’arrivait même pas à l’empêcher de penser, ses sommeils qui n’étaient que cauchemars, le cueillaient là où son dernier verre le laissait, le plus souvent la tête entre les bras posés sur la table, assis sur la chaise qu’il avait choisi d’occuper quelques heures auparavant. Parfois il arrivait à se traîner jusqu’à son lit, c’était le seul endroit où il se permettait de pleurer, comme s’il eut été indécent de le faire dans les pièces où un homme se devait d’être debout… Debout… Il trouva ce mot indécent, s’adressant à lui.  Il leva de nouveau son verre.
Son regard se perdit un moment dans la pièce, s’arrêtant à des objets qu’il trouva sans âme, d’ailleurs il ne leur appartenait plus, alors qu’ils avaient été son quotidien des années durant. Ils avaient pris leur indépendance, comme les murs de la maison qui n’étaient plus maintenant que la continuité des murs qu’il avait dans la tête, juste des murs, il était un étranger à sa propre demeure et même à sa propre vie. A l’extérieur… Mais il n’y avait plus d’extérieur, les vitres ne lui renvoyaient que le reflet d’un visage émacié, envahi de barbe.
Oui, il était au courant des rafles, mais on n’arrête pas les gens comme ça, ces hommes, ces femmes avaient forcément fait quelque chose pour que les gendarmes les emmènent. Les enfants ? On ne peut séparer les parents des enfants, c’était humain. Le gouvernement savait ce qu’il faisait…Le maréchal… Les autres, l’instituteur, ils s’étaient opposés, ils avaient caché des juifs, aidaient le maquis. Un jour, il y a un mois, ils ont vu arriver les allemands au village. Ils savaient… Ils voulaient juste les noms. Ils sont venus, il a eu peur…
Il leva les yeux sur la corde qui pendait de la poutre, il finit son verre, ça ne sortait pas de sa tête et il monta sur la chaise en se tenant au dossier. Il allait enfin oublier.
Jacques Lagrois Alias JAVA
Texte protégé ©

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