Je traîne-savates dans mes galoches dans les
rues sombres de ma ville. Je suis la nuit, noire et profonde que je souris en demi-lune.
Sous la lumière des réverbères, mon ombre câline, caresse le pavé gris.
Ecoute mon pas velours qui feutre tranquille le
sol humide…
J’aime l’obscur, le crépuscule. Je dors le jour
pour me rêver aux nuits.
Les gouttes de pluie, larmes du ciel, claquent
la chaussée en brume fine, au pas cadence d’un métronome endormi. Et je respire
de ce silence qui frôle les murs furtivement, comme on soupire sous la caresse
d’un amant.
Je me fuis sans cesse de ces vacarmes du jour.
Les pas pressés de ces passants qui passent et qui repassent sans regarder,
sans s’arrêter. Des pas stressés, des pas retards, des pas tout court. Les
coups de klaxons bien énervés qui ne réveillent que quelques doigts levés. L’infernal
brouhaha de mille conversations, et ces sonneries de téléphones qui sonnent et
qui résonnent sans cesse dans nos oreilles. Les insultes, les agressions que
plus personne ne voit. Madame coincée dans un tailleur qui l’empêche presque de
respirer. Monsieur penché sur son journal à grignoter les faits divers. Et les
enfants. Le cri de ceux qui s’opposent, du haut de leurs huit ans, à cette fatalité
journalière qui les oblige à se rendre dans ces sinistres écoles, où le mot
« éducation » s’est effacé des murs. Le rire aussi, de ceux, un peu
plus manipulés, qui profitent de ces petits moments de liberté pour se raconter
leur mercredi après-midi, assis dans leur canapé à se droguer de stupides
dessins animés et à s’injecter dans le cerveau les ondes dévastatrices d’une
publicité gerbante.
Oui… Depuis longtemps, je me fuis de ce vacarme
de jour !
Ma rue la nuit, c’est la lumière. Les feux
crépitent dans les tonneaux. Pattes de velours sur les toits, je vois misère
sous les cartons, j’écoute racler les sans-abris. Certains vomissent le mauvais
vin qu’ils ont mendié dans la journée, et d’autres crachent sur le pavé les
vieux mégots ramassés sur les terrasses des cafés.
Ma nuit, c’est la vie…
Chat de gouttière ou rat d’égout, la nuit se goutte
dans le secret. Je suis gourmand de ces souris en bas filé et talons hauts.
J’ai l’appétit des grands festins, des mises en bouche, baisers sucrés, langue
de chat.
Au fond des vieilles ruelles qui puent la pisse
et le rejet, les portes closes s’ouvrent aux noctambules avides de plaisirs et
de sourires. Ils ont laissé au jour, les plannings de vie, les préoccupations,
les angoisses… Les tristesses.
La nuit, tous les chats ne sont pas gris. Moi,
je suis noir, noir, mais en vie. Je pousse la porte et je m’enivre de ces
sourires trop maquillés mais qui vous laissent sur le col blanc la trace
aimante d’un bel instant. Je me respire des fumées des cigarettes, de ces
regards fiévreux qui vous invitent aux têtes à têtes. Il n’y a pas de quoi
fouetter un chat ? Ne vous fiez pas aux apparences et venez à moi,
délicieuses petites souris ! J’aime la débauche. Je suis débauche. Je me
régale de ces corps chauds à moitié nus qui se déhanchent sur la piste. La
musique vibre dans mon corps et boum mon cœur. Elle me frissonne le poil et m’électrise
le cerveau.
Ecoute le ronronnement de ma jouissance d’être
dans la danse…
Vous me pensiez sagesse ? J’ai sept vies
pour vous chasser !
Appelons un chat un chat : minou farouche
le jour, je sors mes griffes la nuit, et n’ayez craintes belle proies… Je
retombe toujours sur mes pattes.
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