J’ai
les deux pieds dans le vide. Ils se balancent dans le vent frôlant l’envie
d’aller s’embrasser sur les rochers. D’ordinaire, j’ai le vertige. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je me sens étrangement bien. Peut-être parce que je
sais que c’est bientôt la fin.
Ma
dépression, en fidèle amie, me tient la main. Elle ne la lâchera que lorsque
mon sang aura repeint le lit de la falaise.
Je
ne veux pas imaginer mes os brisés, ni mon corps écrasé. C’est un spectacle que
je laisse, comme l’empreinte d’une vie torturée, à celui ou à celle qui aura la
malchance de me trouver. Une pensée pernicieuse que j’assume totalement, parce
que je me fiche des dégâts que la vue de mon corps broyé pourrait causer à
celui qui croisera ma mort. Au mieux, il s’en sortira avec une dizaine de
séances chez le psy et sa vie continuera de couler comme la rivière glisse ses
eaux tranquilles. Au pire, il ne s’en remettra jamais vraiment et prendra alors
peut-être conscience que, même sa propre existence se moque de lui, en lui
jouant ses pas sur le chemin pathétique d’un non moins sarcastique : au
mauvais endroit, au mauvais moment.
Mais
peut-être aussi que jamais personne ne me trouvera. C’est une possibilité qui
ne m’effraie pas. J’ai toujours fait partie de ces oubliés qu’on croise, mais
qu’on ne regarde pas. Pourquoi ma mort serait-elle différente ?
Je
rêve les champs de marguerites de mon village natal. Je rêve leurs pétales
comme un dernier linceul.
J’ai
beaucoup de mal à écrire ces mots du haut de cet à-pic. Le vent s’amuse à
déchirer ma feuille de ses bourrasques soudaines et je dois la froisser entre
mes mains si je ne veux pas qu’elle s’envole déjà dans la gueule profonde de la
mer déchaînée. Bien que ce soit là sa destinée. Parce que ces mots, personne ne
les lira, je ne les écrits que pour moi-même. Je ressens ce besoin d’écrire
parce que toute ma vie, j’ai écrit. J’ai écrit mes souffrances, mes peurs, mes
solitudes. J’ai écrit mes joies et mes sourires, parce que la vie, c’est ça
aussi, quelques bouts de bonheur qu’on rencontre de temps en temps sur nos
chemins abîmés. Hier encore, mon petit studio au huitième étage d’un immeuble construit
à grand coup de béton sans charme, dégueulait de mes textes et de mes mille poésies
qu’il me plaisait de coucher sur le papier à mes heures perdues. Hier encore,
parce que ce matin, dans le terrain vague en face de chez-moi, j’ai jeté mes
centaines de cahiers dans un vieux tonneau en ferraille avant de les brûler
comme se brûlaient, jadis, les morts pour délivrer leurs âmes. Je ne veux pas
laisser d’empreintes dans un monde étriqué et indifférent aux autres, je veux
juste m’en aller seul, comme je l’ai toujours été.
J’ai
les deux pieds dans le vide. Devant moi s’étend l’océan dans toute son
immensité. Il semble en colère. Il rugit ses vagues qu’il écrase contre les
rochers avec une rage qu’on ne connaît que chez ces hommes qui jouent de la
violence comme on nourrit sa faim. Je l’écoute me crier sa fureur et j’ai
soudain si froid de ce que j’entends que je me bouche les oreilles pour
m’assourdir de cette algarade tempétueuse. Je n’ai pas besoin de ça pour aller
mal. Ne suis-je pas déjà au bord du précipice ?
Ces
mots ne sont en réalité qu’une farce. Un truc pour ralentir le temps et pour
m’obliger à réfléchir à tout ça. Peut-être aussi à me trouver une excuse pour
ne pas sauter… Ou pour sauter plus vite. Qu’est-ce que c’est con !
J’aimerais
être un oiseau pour m’envoler haut, très haut dans le ciel et jouer à
saute-mouton avec les nuages. J’aimerais lire le soleil et planer sur le mot
« liberté ». Putain que j’aimerais déféquer sur le monde avant de
m’arracher les plumes et d’écrire le mot fin avec l’encre de mon sang.
Le
froid me pique les yeux. A moins que ce ne soit ces foutues larmes qui
m’agressent à nouveau. Je croyais pourtant les avoir vaincues le jour où j’ai
compris que rien ne changerait. Je les pensais taries, dévorées par les
sécheresses de mon cœur. Mais elles sont là les garces, à charmer mon regard pour
faire couler ma désolation sur mes lèvres gercées. Elles sont là et je ne peux
plus rien contre elles.
J’ai
les deux pieds dans le vide et la mer, elle s’en fout comme moi, je m’en fous
d’elle d’ailleurs. Je ne l’ai choisi que pour m’oublier plus facilement au
tragique de ses limbes. Je ne dis pas que je ne l’aime pas. Je la trouve tout
simplement triste. Malgré cela, je ne peux m’empêcher de la trouver belle. Elle
capture nos âmes dans le bleu de ses eaux et, tel un chant de sirène, nous
glisse sur la peau l’émotion fragile en perles de sel. Chaque jour, elle nous
offre un spectacle délicieux dans l’ondule de ses courbes gracieuses qu’elle
dépose harmonieusement sur les plages de sable. Elle joue sa beauté dans l’œil
du peintre ou dans celui du photographe et se fige chaque jour un peu plus dans
son éternité… Mortelle. Mais tout ça n’est qu’un leurre. La mer ? Ce n’est
que des milliards de larmes pleurées sur une terre qui s’étouffe sous nos pas.
La mer, elle est seule. Désespérément seule. C’est sans doute pour ça qu’elle
ravale aussitôt ses vagues, qui n’ont que le temps de nous frôler les pieds
avant de disparaître à nouveau dans sa gueule. Peut-être aussi pour ça, qu’elle
emprisonne l’âme de nos marins et qu’elle recrache leurs corps sur les rivages,
parce qu’un corps finalement, ça ne sert à rien.
Son
silence me fait peur. Bien plus que la mort en fait. Quelle connerie !
Mort, je n’aurais plus à me soucier de l’absence de ces bruits qui savaient
occuper mes solitudes. Mort, je serais mort. Point.
Putain
que je suis grotesque ! Même ma déprime se moque de moi.
Ça
y est ! Il commence à pleuvoir. Quelques larmes de plus sur mon âme
ravagée. Ça me fait chier quand même de mourir sous la pluie. J’aurais
tellement souhaité un clin d’œil du soleil. Juste un. Pour me sentir vivant.
Rien qu’une fois.
…
Je
reprends ces mots, de toi, que je ne connais pas.
Je
me promène souvent avec ma solitude sur les bords de ces falaises qui ressemblent
à des géants de pierre. J’ai souvent la certitude qu’elles me parlent à travers
les murmures du vent. J’aurais aimé te rencontrer le jour où tes pas t’on menés
jusqu’ici. Juste pour te faire un clin d’œil.
Ce
n’est que ce matin que le destin m’a rapproché de tes silences, lorsque, assise
sur un tapis de bruyères, mes doigts se sont frôlés à cette boule de papier qui
renfermait tes mots.
Tu
pensais cette feuille emportée au loin, elle n’attendait que ma main.
Je
ne sais pas si tu as été un oiseau le temps d’une chute ou si tu te promènes
encore avec ta déprime sur les chemins d’écumes. J’ai lu les journaux de ces
derniers jours et aucun ne mentionnent la découverte d’un corps. Mais peut-être
que tu as fini par t’échouer dans ces silences qui t’effrayaient tant et qu’aujourd’hui,
tu navigues apaisés dans les abysses profonds.
Je
reprends tes mots pour te dire que tu n’étais pas seul, que tu ne l’avais
jamais été. Qu’il suffisait d’ouvrir les yeux et de regarder. Te dire que grâce
à toi, j’ouvre enfin les miens.
Je
reprends tes mots pour te dire que je reviendrais chaque année sur ces falaises
pour écouter la mer souffrir ses maux dans le vacarme de ses tempêtes. Que je
lui offrirais, en mémoire de toi, un petit bouquet de marguerite qui flottera
librement sur ses eaux.
Je
ne suis pas ce rayon de soleil que tu as tant souhaité, je ne suis qu’une femme
naufragée aux souffrances de tes mots.
Je
suis celle qui se souviendra de toi… à jamais.
¤ Cat ¤ © 28/04/2016
chapeau bas catherine ....
RépondreSupprimeril y a tant de lignes tant de mots dans lesquels je me reconnais dans lesquels je suis
ça toctoque le ticoeur et j'aurais aimé les écrire tant je m'y enveloppe
Pascal
Je ronronne du plaisir d'avoir fait toquer votre "ticoeur" par ces quelques mots pensés cette nuit. Les mots d'un naufragé, comme il en existe malheureusement des milliers sur les plages désertes de nos vies. Merci d'avoir pris le temps de les lire et de les apprécier. Il est ce bien-être que l'on ressent lorsque par magie, nos mots sont capables d'offrir, ne serait-ce qu'une légère sensation. Merci.
Supprimerque dire face à ces phrases qu'on boit avec délice en ressentant toute la belle aisance que notre Cath a pour nous faire rêver, peur, soucieux, heureux etc... un talent de chatte si douce et tendre qu'on aimerait caresser pour la faire ronronner
RépondreSupprimerbisous à toi Cath à strophes magique
Mais je ronronne, je ronronne Patrick (clin d'oeil). Merci à toi pour ta si sympathique fidélité. Elle compte beaucoup pour moi.
SupprimerLa poetesse a encore frappé. C'est beau Cat, tres beau. Dur comme du diamant
RépondreSupprimerMerci mon Jacques... J'espère ne pas frapper trop fort... Je n'aimerais blesser personne (clin d'oeil). Tendresses.
SupprimerTes mots en cascades de larmes éparpillées unies en un flot qui t'embarque sur des rivages salés évocateurs. Des sensations en tourbillon, c'est beau, Cat !
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