Le
paysage n’est plus qu’une terre violée sous le pas lourd des chenilles
enragées. Les arbres outrageusement déshabillés par les larmes des lance-flammes
vomissent leurs cendres sur un avenir à jamais transformé. Les corps des
oiseaux pendent à leurs branches faméliques comme les boules colorées, qui
jadis, chatouillaient les épines du sapin lors des veillées insouciantes des
soirs de noël. La neige tente quelques flocons mais, la douceur de cette fin
d’hiver les transforme immédiatement en perles d’eau qui sombrent la terre dans
une épaisse boue poisseuse. Tout semble figé. Seule l’horloge tic-tac son temps
dans l’infernal écho d’une campagne endormie. Les corbeaux ne croassent même
plus et le ciel vidé résonne encore du vacarme des avions de combat. Le vent
même, n’ose plus, souffler sa légèreté sur la plaine massacrée.
Au
milieu de cette désolation, s’élèvent encore fièrement, les couleurs ternies
d’un vieux cirque de province. Son chapiteau semble crever un nuage, mais il ne
fait que l’effleurer dans l’impalpable de son toucher. Sur la piste de sable,
le clown écoute le silence, là, où hier encore, s’entrechoquaient les rires et les
applaudissements de dizaines de villageois… Encore vivants. Assis sur la grosse
caisse muette de l’homme tambour, les épaules voûtées, il regarde amèrement les
chaises amputées de la foule bruyante, comme le triste décor d’un théâtre
oublié. Sous son masque de peinture à moitié effacé du ruisseau de ses yeux, il
suicide l’Auguste aux burlesques sourires et devient ce clown blanc,
nostalgique Pierrot au visage lunaire. A présent il joue seul de sa solitude
comme le funambule apprivoise le fil de son équilibre. Son vieil ami, le
contre-pitre, s’est endormi sous les rafales des mitrailleuses sans humours,
quand dans une dernière bouffonnerie, il s’est moqué du couvre-feu. La
marguerite sur son costume coloré n’arrosera plus que son cercueil en mauvais
bois grimé. Mais juste avant de s’effondrer sur le pavé humide et froid, son
rouge sang a dessiné sur le mur sombre de la rue, un beau sourire comme un
dernier clin d’œil à la vie ou peut-être bien aussi comme une grimace cocasse à
une mort bien trop sérieuse.
Le
vieux clown s’essouffle à trop penser et abandonne sa tête contre ses mains
désabusées. Dehors, l’étrange silence s’écrit sur fond de brouillard et au
loin, très loin, des dizaines de bombes crachent la mort sur de nouveaux
paysages.
¤ Cat ¤ 26/03/2016
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