Cette
nuit là, tes yeux se portent une fois de
plus sur le radio réveil posé sur ta table de nuit. Il est trois heures du
matin… Et tu voudrais dormir.
Chaque
insomnie ressemble à la précédente, agaçante, sans fin. Un sablier du temps où
les minutes s’accrochent à l’éternel, où même les secondes se perdent dans les
marais de l’ennuyeux. Un sinistre cauchemar
que d’écouter le réveil se transformer en un gigantesque métronome ouvrant une
large gueule sur la partition de la marche funèbre. Et sentir te lécher, son
inquiétant mouvement de va-et-vient - narcotique, monotone - mais pas assez
soporifique pour t’emporter dans cet Eden où se reposent, à l’ombre d’un
olivier, tes rêves les plus vivants. Ton cerveau ne doit pas se perdre dans le
désolant tempo de l’infernale machine, pourtant… Il est déjà trop tard. Chaque
paroi de ton crâne se fait l’écho assassin de l’obscur « tic-tac ».
Tu
compte-mouton.
Une
fois, deux fois, dix fois… En sachant, qu’au douzième mouton, tes pensées
t’emporteront, comme à chaque fois, bien
loin de cette verte prairie, où tu joues tes espoirs de sommeil.
Souvent,
tu les peins en rouge ces moutons, en
bleu, en nuit et il t’arrive même, parfois, de les éclabousser aux mille
couleurs de l’arc-en-ciel. Souvent, ils bêlent « frère Jacques » à la
manière d’un slam d’aujourd’hui. Un son de cloche en fond sonore : Toi, le
dingue, l’esprit dérangé entre le ding et le dong. Souvent aussi, tu les
imagines à la queue leu leu, brin de paille dans la gueule, marchant au pas
sous un air de vieille guinguette. Et trop souvent, au bruit de l’affreux tic-tac
de ton réveil, tu deviens l’assassin aux yeux rougis par la fatigue La tondeuse
aiguisé à la main, tu tonds ces moutons pour grand-mère qui tricote le fameux
bas de laine qui camoufle tes nombreux somnifères. Et presque toujours :
Le drame.
Alors
tu compte-kébab.
Mais
là encore, la lune reste accrochée à son ciel et les étoiles se moquent de toi.
Les filantes défilent devant ton regard lassé de regarder. Les autres
s’éclairent à la nuit en perçant l’obscurité de plusieurs centaines de coups de
lumière.
Comment
réussir à dormir quand l’esprit un peu fou te joue de ses pensées ? Te
voilà, submergé par un flot de banalités quotidiennes qui s’échouent sur les
plages de ta raison. Tu voudrais en faire des châteaux de sable, mais tu ne
réussis qu’à retourner ce pauvre seau rouge, orphelin de sa pelle et de son
râteau, engloutis à jamais dans ces sables mouvants.
Dehors…
Une chouette crie. Tu voudrais la faire taire. Elle persiste dans son chant de
nuit, comme pour te rappeler que l’obscurité est, comme toi, toujours
réveillée. Bien sûr, tu penses au vieux fusil de papa, rangé depuis des années
dans la penderie du bas. Bien sûr, tu ne fais qu’y penser. Mais il te plait
d’imaginer cet oiseau nocturne cloué, tel un Christ aux larmes statufiées, sur
une planche de bois aux contours taillés à la hache. Et d’entendre son cri figé
dans la moue pathétique de son bec entrouvert.
Ploc,
ploc… Voilà autre chose… Quelques gouttes de pluie qui s’acharnent à « mélodier » ton univers.
Donc,
tu compte-goutte.
Et
au bout de douze gouttes, tu t’en abreuve ta gueule de géant et tu ris, tu ris,
tu ris à t’en faire… Réveiller un peu plus.
Fichue
pluie, fichu chouette… Fichue nuit.
Dehors
le jour se lève… Il est 6h 15
Tu
n’as toujours pas ressentis la douceur des bras de Morphée. Et
d’ailleurs ? Où est-elle donc passée cette traînée ? Sans doute sur
l’oreiller moelleux d’un marchand de sable à la libido trop débordante. Hummm…
Se laisser border par des doigts de fées… Hey là… Tu t’égares vieux !
Comment veux-tu espérer quelques heures de sommeil si tu t’imagines caresses et
autres voluptés.
Alors
tu conte de fée …
…Ou
plus précisément, tu comptes fleurettes
aux nombreuses fées mythiques qui s’amusent depuis peu à te souffler nature et
mille frissons fleuris sur le doux de ta peau nue et fiévreuse. La douzième,
fée des eaux et fille de l’Océan, navigue dans ton esprit en tourbillonnant d’un
chant hypnotique pour capturer encore un peu plus ton insomnie tempétueuse.
Alors tu sèches ces sueurs salées comme tu le peux sur le drap blanc trempé et,
en fond de cale imaginaire, tu jettes sirènes et autres créatures féminines.
Quelques gouttes d’huile parfumées à l’olive ou aux graines de tournesol et les
voici stupides sardines dans une boite de thon. A défaut de dormir, tu t’amuses
plutôt bien !
6h16…
Bientôt l’heure de se lever.
Se
lever ? Se lever de l’enfer de ton lit cercueil qui t’emprisonne les
rêves. Tu n’as même pas fermé l’œil… Tu as juste compté.
Compter
pour du beurre.
Courage
vieux… café noir, sans sucres, une bonne douche pour effacer les cernes de
cette nuit dévastatrice et au boulot… Un boulot où tu dois encore et encore
compter les boulons et les écrous. Les boulons, par lot de dix dans la boite
bleue, les écrous par lot de trente dans la boite rouge… Un, deux, trois… Pas une
de plus, pas une de moins : Tu comptes rond. Et tu jettes dans l’oubli
quelques pièces « tâchées » aux cicatrices de différences, celles que
personne ne veux.
Cela
fait soixante-trois heures que tu n’as pas dormi, enfin, tu sens le sommeil te
gagner.
Le
marchand de sable vient enfin de te balancer sa mixture dans les yeux… ça te
gratte, ça te pique. Tu ressens lentement le doux chant d’Hypnos sur l’effleure
de ta peau, comme le frisson poétique d’une prose chuchotée sur le grain du papier.
Le soleil tente de t’éblouir une dernière fois.
En
fin de compte… Tu ne comptes plus. Ni pour le jour, ni pour la nuit… Un laissé pour
compte !
Sur
la table de nuit, à côté du réveil, te nargue la boite de barbiturique tragique,
dans laquelle on ne peut plus compter son contenu, si ce n’est dans ton estomac
endormi.
Le
compte à rebours peut alors commencer…
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