Elle
avait la peau laiteuse. La douceur d’un marbre blanc que l’on dessine du bout
des doigts. Un grain de peau parfait. Trop parfait. Jamais aucune cicatrice
n’avait osé sillonner les chemins onduleux de son corps. Aucun bouton
disgracieux pour ternir sa blancheur, pareille aux ailes d’un ange. Je devais
ressentir dans mon regard quelques imperfections que j’aurais eu plaisir à
griffonner sous mes caresses frôlées. Je venais d’éteindre le poêle à pétrole,
l’unique moyen de chauffage de ce sous-sol, et son corps de porcelaine ne
tarderait pas à frissonner sous le froid de l’hiver. J’avais hâte de lire sa
peau en million de frémissements.
La
grande table en inox, dévorant la lumière, reflétait, tel un miroir, les
courbes de son corps nu endormi. Elle ressemblait ainsi à l’un de ces modèles
qui gardait la pose devant l’œil artistique d’un peintre quelconque. Je n’aimais
pas beaucoup la peinture. Je préférais l’immortaliser dans un coin de ma
mémoire, là, où jamais personne ne pourrait la voir. Mais j’étais une artiste.
Et mon nouveau chef-d’œuvre, bientôt, serait connu du monde entier.
Lentement,
la lame du rasoir glissait sur sa fine toison blonde, dévoilant peu à peu la
fraîcheur de son intimité. J’écartais un peu plus ses longues jambes et je
découvrais alors ses lèvres charnues dans l’invite d’une bouche gourmande. Mon
corps ne restait pas insensible à cet écrin de désir et je sentais déjà couler
le long de mes cuisses cette chaleur humide qui me brûlait jusque dans mon bas-ventre. Mais je ne devais pas me
laisser distraire par ce corps sublime qui m’inspirait pourtant autant de dégoût
qu’il pouvait m’inspirer du désir. Je n’étais pas là pour ça, et surtout… ELLE
n’était pas là pour ça !
Ma
belle au bois dormant s’éveillait enfin. Un léger tremblement qui lui laissait
une impression de frou-frou sur la peau. Je ne pouvais m’empêcher de laisser
glisser ma langue sur la courbe de ses hanches, ce qui la ramena définitivement
dans ma réalité. Elle essaya d’ouvrir les yeux, mais je m’étais appliqué à lui
coller les paupières avec une colle extra-forte. J’avais également profité de
son état de somnolence médicamenteuse pour lui arracher les cils et les
sourcils. Des larmes de sang séchées avaient coulé le long de ses joues comme
un mauvais rimmel, lui laissant comme un masque de désolation sur le visage.
J’ai deviné son cri dans ce son étouffé qui mourrait lentement dans le creux de
sa gorge. Je voyais ses lèvres cousues remuer dans l’espoir de s’entrouvrir
légèrement pour laisser passer, ne serait-ce qu’une imploration, voire une
ultime inspiration. Mais il est ce temps où l’on doit se taire et écouter.
M’écouter. Ma poupée venait tout juste de prendre conscience qu’elle ne pouvait
pas bouger non plus. J’avais pris soin de lui attacher les poignets et les
chevilles sur la table à l’aide de vis
fixées dans chacun de ses membres. J’aurais pu préférer les clous pour leur utilisation
précise et rapide, mais ça nous ramenait alors inévitablement à cet illustre
martyr cloué sur sa croix, et je n’étais pas fan des sous-entendus et autres
clichés religieux.
Il faisait maintenant assez froid dans la
pièce, son corps tremblait et un souffle glacé lui susurrait d’imperturbables
frissons sur sa peau menacée. Instinctivement, elle essayait de se
recroqueviller pour rechercher un peu de chaleur dans son propre corps – comme
un bébé sur le ventre de sa mère - mais
la douleur dans ses poignets et ses chevilles la remettait immanquablement à sa
place. Ces irrégularités dermiques me salivaient dans la bouche. J’en
ressentais chaque picotement, chaque ondulation. Agréables secousses qui
m’éveillaient les sens et qui m’insufflaient des petites décharges spasmodiques
dans mon sexe mouillé. En un autre temps, un autre lieu, une autre situation,
je crois que j’aurais pu l’aimer. Je crois, qu’elle et moi, nous aurions pu
nous réinventer dans des jouissances extraordinaires. Je me décidais alors à remettre un peu de
chauffage. Pas pour elle. Pour moi. Le véritable travail allait pouvoir
commencer et je ne devais pas trembler si je ne voulais pas gâcher mon œuvre.
A
cet instant précis, j’aurais voulu me glisser dans son crâne – tel un serpent
vicieux - pour connaître le fond de ses pensées, respirer sa peur, et côtoyer
ses doutes. Mais je ne devais pas savoir. Sa souffrance n’appartenait qu’à
elle. Je ne pouvais que me laisser aller à l’imaginer et à m’en savourer
l’esprit avec toute l’extravagance dont je savais faire preuve.
Il
me fallait attendre, à présent, que la pièce se réchauffe un peu plus. Le temps
pour moi d’aller prendre une douche et d’éteindre ce feu qui crépitait dans l’antre
de mon intime. Je la laissais seule dans son cauchemar. Seule dans l’obscurité
de ses pensées à se poser ses questions qui trouveront bientôt une réponse. Je n’avais
pas encore prononcé un seul mot. Pour l’instant, ils étaient inutiles. Pour l’instant…
¤ Cat ¤ 24/10/2015
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